La Cristerie, maison natale de Guillaume Pelletier à Bresolette
Photo : © Collection privée de Pascal Pelletier.

 

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Guillaume Pelletier (1598 - 1657)
 

Guillaume Pelletier était originaire du Perche, cette ancienne province de France, que limitaient principalement la Normandie, le Maine, et la Beauce.


Naissance à Bresolette

C'est à Bresolette qu'est né Guillaume Pelletier, en 1598. Il était fils d'Éloy Pelletier et de Françoise Matte. Les archives de l'époque, scrutées par Madame Pierre Montagne (réf.), nous apprennent que plusieurs Pelletier habitaient Bresolette, dont Mathieu, Jean, Laurent, etc.

À notre connaissance, Éloy avait un autre fils, Antoine. Cette fois, ce sont les archives canadiennes (Mgr Tanquay?) qui nous l'apprennent. Il traversa en Nouvelle-France avec Guillaume. A moins qu'il ne fût veuf au moment du départ, Antoine devait être plus jeune que Guillaume, étant donné que lui, il ne se maria qu'en Canada, en 1647, alors que Guillaume traversa avec son épouse.
 

Mariage à Tourouvre

C'est dans l'église de Saint-Aubin de Tourouvre que « le mariage fut célébré entre Guillaume Le Pelletier de la paroisse de Bresolette et Michelle Mabille, fille de Guillaume de cette paroisse, le 12e jour des mois et an que dessus (février 1619) ».

 

À l'entrée du domaine de la maison ancestrale à Bresolette
Il faut y lire que le départ vers la Nouvelle France fût en 1641, et non en 1650.
Photo : © Collection privée de Pascal Pelletier.

Marchand charbonnier

Comme son père Éloy, Guillaume est marchand, marchand charbonnier. Un acte de 1630 en témoigne : « Macé Guyot (...) cède à Jehan Maunoury et Guillaume Pelletier, marchands charbonniers, demeurant audit Tourouvre, 106 cordes de bois à faire charbon. En échange Maunoury et Pelletier livreront 175 pipes de charbon et donneront 4 pistoles d'or ». Peut-être, en outre, exerce-t-il plusieurs autres métiers. Du moins, c'est ainsi que, plus tard, en 1646, il sera décrit par le Journal des Jésuites de Québec : « déserteur (défricheur), scieur de long, charpentier, charbonnier, etc. » Le rédacteur du Journal ne complète même pas la liste de tous ses métiers qui ont trait à l'usage du bois.

 

Ses enfants

Après les recherches de P.A. Godbout, Mme Pierre Montagne n'a pas retracé dans les archives de Tourouvre plus de trois enfants issus du ménage Pelletier-Mabille : Claude, né le 11 février 1622, recevant son nom de son parrain, Claude Mabille, oncle maternel; Guillaume, né le 26 février 1624; et Jean, né le 12 juin 1627, dont le parrain fut Jehan Loyseau, et la marraine, Michelle Bahère, femme de Claude Mabille. Mgr Tanguay parle également d'une fille, Marie, qui aurait épousé Julien Perreault en 1647. Les deux fils aînés de Guillaume, Claude et Guillaume (II), sont apparemment morts en bas âge. Plus de trace d'eux. Au moment de partir pour le Canada, Guillaume et sa femme disposent de leurs biens, comme nous le verrons, sans faire aucune mention de ces deux enfants. Et seul Jean, le benjamin, s'embarque avec eux.
 

Le Gobloteur

Guillaume Pelletier avait un surnom. L’avait-il déjà en France? Lui a-t-il été donné au Canada seulement? Nous l’ignorons. Le Journal des Jésuites, pour la première fois, en 1646, en fait état en parlant du «Gobloteur, nommé Guillaume Pelletier». Nous avons essayé de découvrir le sens de ce vieux mot qui ne s’est pas perpétué dans la langue française. D’après le Dictionnaire de Trévoux (1762), on disait au 18e siècle encore : «gobeloteur». Venant du mot «gobelot» ou «gobelet» (vase à boire), «gobeloteur» signifiait : qui boit souvent, à petits coups et, par extension, qui aime rire et chanter. L’élision du «e» muet, à l’intérieur du mot, fréquente en français (du moins dans la prononciation), engendre facilement le mot «gobeloteur». La version anglaise du Journal des Jésuites traduit par «Tippler» (ivrogne). Mais, même si elle confirme nos conclusions, la traduction nous semble manquer de nuance ! Nous préférons, conformément à Trévoux reconnaître dans le «gobeloteur» le gai luron qui aime boire, rire et chanter. Nous retrouvons également ce mot dans le Dictionnaire Général de la Langue Française au Canada (Bélisle).
 
Guillaume Pelletier transmettra ce surnom à quelques descendants. D’abord à son fils Jean. Léon Roy, dans son histoire des terres de l’Île d’Orléans (réf.), parle de Jean Pelletier-Gobleteux, propriétaire de la terre no 53 de la paroisse Saint-Pierre. Cette terre, passé ensuite au petit-fils de Guillaume, René, étant alors située entre celle d’un nommé René Goubleau et celle de Jacques Nolin, Roy, commente ainsi : « Nous croyons que ce René Goubleau était simplement René Pelletier lui-même, dont le père Jean Pelletier (1627-1698) était surnommé : le Goblot(eux)» . A notre connaissance, ce surnom est disparu sans laisser de trace dans les noms de famille du Canada français.
 

Émigration au Canada

Malgré l'absence d'actes écrits qui l'attestent explicitement, il paraît évident que Guillaume Pelletier, comme beaucoup de ses compatriotes, est venu en Canada pour répondre à l'appel de Robert Giffard, premier artisan du peuplement canadien par l'émigration percheronne. De façon plus immédiate, il dû s'engager envers l'un des frères Juchereau, directement, ou par l'intermédiaire de leur représentant. Rappelons que Noël et Jean Juchereau, associés de Giffard, membres de la Compagnie des Cent-Associés, multipliaient à cette époque leurs voyages de recrutement entre le Canada et la Perche. Quand ils étaient absents, leur demi-frère, Pierre Juchereau, recevait en leur nom les contrats d'engagement.

En effet, le 8 mars 1641, "Guillaume Pelletier et Michelle Mabille, résidant à La Gazerie, vendent un boisseau de terre à Robert Loyseau, baillant à titre de ferme pour cinq ans à Jean Rousseau, leur beau-frère, toutes les maisons et tous les héritages appartenant à ladite femme Pelletier et ceux devant lui venir des successions de défunts Guillaume Mabille et Étiennette Monhée, ses père et mère, pour en jouir par ledit Rousseau durant ledit temps, moyennant 15 livres qu'ils ont reçues auparavant et dont ils quittent Jean Rousseau. Le contexte est clair. Une évidence se dégage de ces dispositions prises devant notaire par le ménage Pelletier : ils vont partir. Ils disposent de tout : maisons, héritages et successions. Il semble que ce soient des obligations d'ordre familial qui les aient empêchés de le faire plus tôt. Maintenant que les vieux parents de Michelle sont morts, ils peuvent partir. Et ils prennent leurs dispositions pour cinq ans. Nous avons donc tout lieu de conclure raisonnablement que Guillaume Pelletier, sa femme et son fils Jean, alors âgé de 14 ans, sont partis pour le Canada dès le printemps de 1641. Si erreur il y a, elle n'est pas considérable, car un acte notarié établit avec certitude que le 5 octobre de l'année suivante, 1642, les Pelletier sont bel et bien établis en Canada. Vraisemblablement Antoine Pelletier, le frère de Guillaume, traversa au Canada en même temps que ce dernier. Et l'on sait, par ailleurs, qu'il est mort aux chutes Montmorency, en 1647.
 

Engagé ou habitant?

Même si Guillaume ne semble pas être venu en Canada en vertu d'un engagement écrit, tout indique cependant, comme nous l'avons déjà vu, qu'il n'en fut pas moins en "engagé". Nous voyons une nouvelle indication en ce sens, dans le fait que Guillaume Pelletier, arrivé au pays en 1641, attendra trois ans avant de se porter acquéreur d'une terre. "Le 17 avril 1644, Giffard avait concédé une terre de 6 arpents de front à Martin Grouvel, qu'il vend à l'automne de la même année à Guillaume Pelletier, qui la cède à son frère, Antoine; ce dernier décède en octobre 1647 et la terre devient de nouveau la propriété de Guillaume Pelletier". Donc Guillaume Pelletier attendit trois années avant de s'acheter une terre. Il est facile de voir là le geste d'un engagé qui décide d'investir dans une propriété ses économies de trois années de service. Et Guillaume semble le faire sans pour autant, mettre fin à son état d'homme à gages, puisque, au lieu d'occuper cette terre, il la cède immédiatement (à rentes ou à fermage?) à son frère, Antoine. Et seule la mort d'Antoine, en 1647, semble le décider enfin de s'établir sur sa propriété, sans doute pour l'exploiter lui-même.
 

L'homme aux cents métiers

On peut donc croire que Guillaume servit la cause de la colonisation en premier lieu comme artisan aux nombreux métiers. C'était, d'ailleurs, dans le prolongement de ses antécédents en France. Son bourg natal, rappelons-le, était au coeur d'une région de "charbonniers, de ferronniers et de bûcherons". En résumé, même s'il le fut uniquement par contrat oral et sous seing privé, Guillaume Pelletier était un engagé. Nous estimons que c'est l'homme de métier qui s'engagea en 1641. A cette époque, tout était en construction dans la région de Québec. Pour ne parler que des Jésuites, leur Journal nous apprend qu'ils étaient à construire une résidence et une église paroissiale. Ne seraient-ils pas de ceux qui auraient retenu les services de Guillaume Pelletier? En tout cas, ils semblent particulièrement bien connaître celui que, dans ce même Journal, ils identifient comme "scieur de long, charpentier, charbonnier, etc".
 

À Beauport

En 1647, Guillaume Pelletier reprend possession de la terre qu'il avait cédée à son frère, Antoine. Le voisinage des chutes Montmorency n'avait pas été favorable à ce dernier. Se faisait-il un sport de s'en approcher dangereusement dans son frêle canot? Le mercredi 3 octobre 1647, "Antoine Peltier, frère de Guillaume Peltier dit Gobloteur (s'est) noyé d'un canot renversé à l'eau près de sa maison au Sault de Montmorency ". L'épreuve dû être rude pour Guillaume. Elle le fut certes davantage pour Françoise Morin qu'il venait tout juste d'épouser, le 17 août précédent. Il fut inhumé par le Père Vimont, jésuite. Mort sans enfant, Antoine ne laissa donc pas de descendance canadienne. En quoi consistait la terre de Guillaume Pelletier à Beauport? Une terre de six arpents de front sur le fleuve, avec une profondeur limitée à la rivière Montmorency (environ 34 arpents). Donc un domaine de superficie assez réduite. En effet, à cause de la façon particulière dont Giffard avait choisi d'orienter ses terres en censive, celles-ci étaient limitées au sud par le fleuve et au nord par la rivière Montmorency. Et comme les deux cours d'eau se rapprochent pour se rejoindre à l'extrémité est de la seigneurie, la première terre, près des chutes, n'a que vingt arpents de profondeur. Celle de Guillaume Pelletier, qui est la deuxième, a une profondeur de trente-quatre arpents environ. Et ainsi de suite, jusqu'à la terre de Jean Langlois qui est profonde de cent seize arpents. Guillaume ne conserva pas la totalité de son domaine. En 1655 (et peut-être avant), Jean Mignaux est propriétaire de deux arpents de front, pris sur la partie est de la terre de Guillaume. Celui-ci resta donc propriétaire que d'une terre de quatre arpents de front. De Guillaume Pelletier, habitant de Beauport, nous savons peu de chose. En 1646, son fils, Jean, âgé de 19 ans, l'avait quitté pour se mettre au service des Jésuites, comme "donné". En 1647, au moment où il occupe sa terre de Beauport, Jean est probablement revenu habiter avec lui. Chose certaine, en 1649, Jean, ayant épousé la toute jeune Anne Langlois, s'installa chez son père dont il était le seul héritier. Cinq ans après seulement, la jeune épouse procurera à Guillaume la jois de connaître le premier rejeton de la branche canadienne des Pelletier de Tourouvre : Noël (1654). Du vivant de Guillaume, Jean lui donnera aussi une petite-fille : Anne (1656).
 

Le citoyen respecté

Une fois de plus, c'est le Journal des Jésuites qui nous informe : en date du 9 août 1653, Guillaume Pelletier est nommé syndic adjoint de la Communauté des Habitants pour représenter la région de Beauport. On comprend que les Jésuites en parlent, compte tenu de leur rôle prépondérant dans cette Communauté. C'est un grand honneur pour Guillaume en même temps qu'une marque d'estime que lui manifestent ses concitoyens de Beauport. Guillaume Pelletier n'a donc pas servi la colonie uniquement par le travail de ses bras, productif sans doute, mais effacé, plus ou moins anonyme. Il semble avoir contribué activement à la vie économique et, jusqu'à un certain degré, politique, de la jeune communauté. D'ailleurs, il n'était pas dépourvu d'instruction : il avait une "bonne signature", prend la peine de noter Madame Montagne qui a déchiffré celle-ci dans les pièces d'archives de Tourouvre. Et son expérience d'ancien marchand l'a sans doute habilité à surveiller les intérêts des Habitants au sein d'une organisation dont l'activité économique première était de gérer la traite des fourrures.
 

Sa mort

Quatre ans après cette nomination, Guillaume Pelletier meurt chez lui, à Beauport. Le 28 novembre 1657, il est inhumé à Québec, à 59 ans. Sa femme aussi, Michelle Mabille, mourra à Beauport et sera enterrée à Québec, huit ans plus tard, le 21 janvier 1665, à l'âge de 73 ans. A sa mort, Guillaume ne laisse pas une descendance canadienne très nombreuse : son fils, Jean, ne lui a encore donné que deux petits enfants. Mais Jean et sa jeune épouse, Anne Langlois, porteront à sept le nombre de leur progéniture (sans compter deux enfants morts à leur naissance). Tous, à l'exception d'un, naîtront dans cette maison de Beauport que Jean a reçue en héritage de son père. La suite de l'histoire est celle de Jean.

 

  • Tiré de « Histoire et généalogie de Guillaume Pelletier 1598-1657 et son fils Jean »
    Pelletier, Maurice, s.j.. «Guillaume Pelletier 1598-1657 et son fils Jean». Montréal, Société généalogique Canadienne-Française, 1976, 24

 

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(1627 - 1698)

 

L'ancêtre "canadien"

Guillaume Pelletier (1598-1657), dont la femme, Michelle Mabille (1597-1667?), avait déjà 48 ans, quand le couple arriva au Canada en 1641 ne laissa pas d'héritier de naissance canadienne. C'est son fils, Jean, venu avec ses parents de France, qui perpétuera son nom au Canada. Quoique de naissance française, Jean Pelletier mérite d'être considéré comme le premier ancêtre "canadien" de cette branche des Pelletier qui s'est abondamment ramifiée au Canada, particulièrement dans la région de Québec, et plus encore dans celle du "bas du fleuve". Arrivé au pays à quatorze ans, telle une jeune pousse importée et transplantée en pays étranger, c'est en terre canadienne qu'il prit définitivement racine. Quand Jean s'embarque pour émigrer au Canada avec ses parents et son oncle, Antoine, en 1641, il a 14 ans. L'adolescent goûte sans doute l'aventure de la traversée. Mais une aventure plus grande encore l'attend : s'enraciner dans un pays neuf et croître avec lui.

 

Le "donné" des Jésuites

De fait, la vie de Jean au Canada tourne vite à l'aventure : il se "donne" aux Jésuites! En 1646, Jean a dix-neuf ans. Il est assez vieux pour faire équipe avec son père, l'ouvrier, qui, à l'époque, comme il nous est permis de le croire, ne s'étant pas encore établi sur sa terre de Beauport, exerce ses nombreux métiers au service des chantiers de construction de la région. Probablement à Québec où les Pères Jésuites ont établi le centre de leur rayonnement missionnaire. En tout cas, Guillaume et son fils, Jean, semblent oeuvrer dans l'entourage immédiat des Pères. Le P. Jérôme Lalemant écrit dans le Journal des Jésuites, au mois d'août 1646 : "Le 28, je partis seul dans un canot pour aller aux 3 Rivières. Je menai avec moi dans une chaloupe 2 hommes et un enfant. L'un des hommes était le fils du gobloteur, nommé Guillaume Pelletier, déserteur (défricheur), scieur de long, charpentier, charbonnier etc. Il se donna tout d'un coup; on promit toutefois à ses parents cent francs pour sa 1e année, et on ne laissa pas de l'habiller tout de neuf. Il apprend, peut-être par le Père Lalemant lui-même, le prochain départ de celui-ci pour Trois-Rivières. Spontanément, "tout d'un coup", il s'offre à partir avec lui : il se donne.

 

Au Fort Sainte-Marie-des-Hurons

Établir que Jean Pelletier fut un donné des Jésuites est une chose; conclure que, en tant que tel, il est allé servir dans la Huronie, au bord de la Baie Georgienne, en est une autre. Pour l'époque concernée, l'histoire ne nous a pas conservé de listes (catalogues du personnel) que fassent l'énumération complète des laïcs affectés à l'oeuvre du Fort Sainte-Marie. Tout au plus une lettre du P. Ragueneau du 1er mai 1647 nous permet de savoir que l'automne précédent (1646) le fort abritait 15 donnés, 5 engagés et 4 enfants. Seuls des rapprochements et recoupements de textes permettent aux historiens de reconstituer avec une certaine exactitude les listes de noms correspondant à chacune de ces catégories. En ce qui concerne Jean Pelletier, nous n'avons que les renseignements que nous fournit le "Journal des Jésuites" dont nous avons déjà cité un extrait. Cet extrait nous a appris que Jean accompagna le P. Lalemant en partance pour Trois-Rivières. Comme Trois-Rivières était alors une mission importante, on pourrait se croire tout au plus autorisé à comprendre que c'est là que Jean alla servir les Jésuites comme donné. Pourtant une lecture attentive de la suite du récit, même si le nom de Jean Pelletier n'est plus mentionné explicitement, nous permet de conclure que, en 1646, celui-ci ne s'arrêta pas à Trois-Rivières, mais accompagna un convoi de Hurons jusqu'au Fort Sainte-Marie.

 

Mariage difficile à conclure

Aucun document ne permet vraiment de dire quelle fut la durée exacte du séjour de Jean Pelletier en Huronie. Jean Côté, dans l'ouvrage déjà cité, conclut qu'il en serait revenu en 1649 du fait qu'il se maria à Québec cette année-là. Mais, si effectivement Jean Pelletier attendit jusqu'au 9 décembre 1649 pour se marier à Québec, ce n'est pas parce que, jusque-là, il servait en Huronie comme donné; mais parce qu'il lui avait été interdit de se marier plus tôt. Léon Roy, en effet, parlant de la donation de Jean en 1646, écrit : "Il ne devait pas avoir la vocation. L'année suivante, il fiança Anne Langlois". De fait, il voulut se marier cette année-là, 1647; mais il dût attendre encore deux ans. Les lois de l'Église l'y contraignirent, car Anne n'avait alors que 10 ans! Les trois bans, lit-on dans les registres de Notre-Dame de Québec, avaient été publiés par trois jours de fête en juin et en juillet; mais quand le temps de la cérémonie fut arrivé, quelqu'un découvrit l'empêchement canonique. Née le 2 septembre 1637, Anne Langlois n'avait même pas tout à fait ses 10 ans. Il fallut bien attendre l'âge prescrit par le droit canon, soit 12 ans. Certes les données de cette époque, comme nous l'avons vu, n'étaient pas liés par le voeu d'un célibat perpétuel. Les Ursulines admirent à leur service des donnés mariés. Mais, chez les Jésuites, la permission de se marier résiliait le contrat de "donation". En 1647, par conséquent, Jean Pelletier, ayant tenté de se marier, n'était plus donné. On peut se demander d'ailleurs s'il avait dépassé la période de probation à laquelle étaient soumis les donnés. Le P. Lalemant, en effet, pour convaincre son supérieur général, réticent, de maintenir l'institution, y avait introduit une période d'épreuve, imposé au candidat avant d'être admis à un engagement plus permanent. Quelle était la durée de cette probation? Il y a peut-être un élément de réponse dans le texte du Journal des Jésuites où, au sujet de Jean Pelletier, il est dit qu'une entente fut conclue avec ses parents "pour sa 1er année" : c'était vraisemblablement la période d'épreuve. Le 20 décembre 1648, Jean agit comme parrain au baptême d'un petit frère d'Anne, sa fiancée. On le prénomma Jean.

 

Ses enfants

Le 9 décembre 1649, Jean Pelletier se mariait à Québec. Le jeune ménage s'installa chez Guillaume Pelletier, le père de Jean, à Beauport. Anne elle-même, fille de Noël Langlois et de Françoise Grenier, était de Beauport. La terre de Noël était la sixième à l'ouest de celle de Guillaume. N'ayant que douze ans à son mariage, Anne fut cinq ans sans donner d'enfants à Jean. Ensuite, la cigogne visita le foyer sept fois. Les enfants furent :

1.      Noël (1654-1712), futur époux de Marie-Madeleine Mignot en 1674

2.      Anne (1656-1696), épouse de Guillaume Lizot en 1670

3.      René (1659-1713), époux de 1) M.-Madeleine Leclerc en 1691 2) M.-Jeanne Godbout en 1713

4.      Jean (1663-1739), époux de M.-Anne Huto dit St-Laurent en 1689

5.      Marie (1667-1727), épouse de 1) Jacques Gerbert en 1686, 2) Mathieu Guillet

6.     Charles (1671-1748), époux de 1) M.-Thérèse Ouellet en 1697, 2) épouse Barbe Saint-Pierre en 1711

7.      Marie-Charlotte (1674-1699), épouse d'André Mignier.

À l'exception de Marie, née à l'Ile d'Orléans, tous naquirent à Beauport. Il faut ajouter à cette liste : Antoine et Marie-Delphine, tous deux morts à leur naissance.

 

Citoyen de Beauport

A la mort de son père Guillaume, en 1657, Jean hérita du bien paternel, à Beauport. Fut-il un grand défricheur? A-t-il été plutôt, à l'instar de son père, un artisan, un homme de métier? Sa jeunesse, marquée par les voyages, par la traversée de l'océan, par les courses évangéliques à la suite des missionnaires, le préparait mal à la vie du colon sédentaire. Ses futures pérégrinations, qui lui feront changer de terre au moins quatre fois, semblent le confirmer. Pourtant le recensement de 1667 révèle que son lot, alors provisoirement cédé à bail, comptait vingt-cinq arpents en valeur. C'était dans la bonne moyenne. Mais, rappelons-le, cette terre, il en était le troisième occupant, après son père et son oncle Antoine. Combien d'arpents neufs furent l'oeuvre de Jean?

 

Séjour à l'Ile d'Orléans

La famille de Jean Pelletier, en 1665, quittait momentanément du moins, la terre de Beauport. Une double mortalité semble avoir donné le signal du départ. Le 21 janvier, Jean perdait sa mère agée de 73 ans. La même année, c'était le tour d'Anne, sa femme, de perdre sa mère, tuée accidentellement, le 31 octobre. C'est comme si Jean, n'étant plus retenu à Beauport par des obligations de piété filiale, pouvait enfin réaliser un vieux rêve : déménager à l'Iles d'Orléans. Il y a déjà deux ans qu'il s'y est fait concéder une terre. La nouvelle terre de la famille Pelletier, à l'Ile d'Orléans, était située dans l'arrière-fief de la Chevalerie. Cette terre avait été concédée à Jean par les frères Juchereau, fils de Jean Juchereau de Maur. Il avait été devancé sur l'Ile par ses deux beaux-frères. En effet, Jean Langlois-dit-Boisverdun et Noël Langlois-dit-Traversy, les frères de sa femme, cultivaient les deux terres immédiatement voisines de celle des Pelletier. En 1666, le recensement ne nous dit rien du nombre d'arpents défrichés. Nous apprenons seulement qu'une fille est née depuis 8 jours et n'est pas encore baptisée, et que Jean a un domestique de 17 ans travaillant au mois, Guillaume Lemieux. Le recensement de 1667, lui, nous dit que 5 arpents étaient en valeur.

 

Retour à Beauport

En cette même année 1667, le 8 décembre, Jean vendait sa terre à son beau-frère, Jean Langlois-dit-Boisverdun, et, au cours du printemps suivant, il ramenait sa famille à Beauport, sur sa première terre. Pourquoi? Nous l'ignorons. Rappelons cependant que la plus grande partie de la terre de Beauport n'avait été cédée que par un contrat de fermage, donc pour un temps déterminé. C'est sans doute dans cette maison que, deux ans plus tard, Lizot introduira sa jeune épouse, Anne Pelletier, fille de Jean. En effet, en 1669, Me Vachon, notaire, rédigeait le contrat de mariage de sa nièce, Anne Pelletier, avec Guillaume Lizot. Elle se mariait à l'âge de 13 ans, comme sa mère. Telle mère, telle fille! En 1674, une deuxième noce était célébrée chez Jean : cette fois, c'était son aîné, Noël, qui épousait Madeleine Mignot. Une autre joie l'attendait : en cette même année, sa femme, Anne, pourtant déjà grand-mère, devenait elle-même mère une dernière fois, en donnant naissance à une fille : Marie-Charlotte.

 

Escale dans les Iles

Père maintenant de sept enfants, dont un tout jeune bébé, Jean semblait destiné à finir ses jours à Beauport, sur la terre qu'il avait héritée de son père. Mais voilà que, en 1675, quittant de nouveau Beauport, il s'embarquait pour l'Ile-aux-Oies. Il partait seul. Sa femme et ses enfants le rejoignirent l'année suivante. Cependant, en 1678, c'est à l'Ile-aux-Grues, à côté, que nous retrouvons sa famille installée sur une terre de 6 arpents de largeur, sur toute la profondeur de l'île, à environ 26 arpents de l'extrémité-est de l'île. Ce n'est pas toute la famille de Jean qui déménagea dans les îles. Ses aînés, Noël, époux de Madeleine Mignot, et Anne, épouse de Guillaume Lizot, étaient restés à Beauport. En 1676, ceux-ci émigrèrent vers la Grande-Anse, là où Jean avait déjà rempli sa mission d'enquêteur pour le compte des Juchereau. Quelle influence joue alors sur Jean Pelletier? Désire-t-il se rapprocher de ses enfants établis à la Grande-Anse? Il ne séjournera pas plus de quatre ans dans les îles. Vendant sa terre à Guillaume Lemieux, son ancien engagé à l'Ile d'Orléans, et devenu depuis son beau-frère, il s'embarqua pour aller ouvrir une nouvelle terre. Léon Roy remarque que Jean Pelletier aura ainsi possédé et occupé au moins quatre terres avant de se fixer définitivement : "Faut-il l'en féliciter, avec ceux qui ne voient en lui que le vaillant défricheur, ou au contraire, se demander si son inconstance ne lui fut pas plutôt défavorable?" Il est vrai que Jean Pelletier, s'il avait résolu de mourir pauvre, ne pouvait pas prendre meilleur moyen d'y arriver. Mais, inconstant? qui le dira? Nous pouvons tout au plus constater le fait de ses déplacements consécutifs. Et, en cela, agissait-il autrement que beaucoup de ses contemporains? La Grande-Anse, au début, sera ainsi peuplée par des colons de Beauport qui étaient déjà bien établis près de Québec. C'est l'époque de l'expansion de la colonie, sous l'impulsion de Talon qui multiplie les concessions de seigneuries nouvelles. Concessionnaires des terres de la Grande-Anse et des environs, les Juchereau veulent les mettre en valeur. Ils sollicitent leurs compatriotes, originaires du Perche comme eux. Et c'était dans le sang des premiers canadiens : ouvrir des terres nouvelles, "faire de la terre neuve". A 52 ans, Jean Pelletier, s'il manquait de constance, ne manquait certes pas de courage. Ce n'est pas tout à côté de ses enfants, rendus à la Grande-Anse, qu'il s'installa pour refaire sa vie, mais dans un fief voisin, celui des Aulnaies, isolé, en pleine forêt, avec un seul voisin, Pierre Saint-Pierre.

 

La Grande-Anse

C'est aux environs des années 1675-1680 que sept colons de Beauport s'étaient établis sur les terres de Marie-Anne Juchereau, à la Pocatière :

1.      Noël Pelletier, fils de Jean Pelletier, époux de M.-Madeleine Mignot

2.     Guillaume Lizot, époux d'Anne Pelletier, fille de Jean

3.      Nicolas Lebel, époux de Thérèse Mignot

4.      Jean Mignot, époux de Louise Cloutier, père de M.-Madeleine et de Xaintes

5.      René Ouellet (qui épousera en secondes noces la veuve de Nicolas Lebel)

6.      Nicolas Huot-Saint-Laurent, époux de Marie Fayet

7.      Jean Grondin, époux de Xaintes Mignot.

Les liens de parenté qui unissaient ces colons entre eux ne semblent pas avoir été étrangers à la formation du groupe! Nous connaissons déjà Guillaume Lizot, gendre de Jean Pelletier. Le 16 mars 1676, Guillaume vendait sa terre de Beauport pour se rendre à Sainte-Anne en compagnie des trois beaux-frères : Noël Pelletier, Nicolas Lebel et Jean Grondin. Guillaume et Anne Pelletier auront neuf enfants. Pendant que Guillaume Lizot s'établissait à l'extrémité ouest de la seigneurie, près de Saint-Roch, Noël Pelletier s'installait à l'autre bout, près de la Rivière-Ouelle. Noël aura huit enfants.

 

Pionnier de Saint-Roch-des-Aulnaies

Fait étrange, en 1679, Jean Pelletier ne s'établit pas à la Pocatière auprès de ses enfants qui étaient établis dans cette seigneurie depuis trois ans. Il choisit de prendre un lot dans la seigneurie de Saint-Roch-des-Aulnaies. Il y prend possession d'une terre que lui avait concédée Nicolas Juchereau : 5 arpents de front en pleine forêt vierge. En même temps que lui, un autre colon, Pierre Saint-Pierre, prend la terre voisine. De fait, commente Léon Roy (op. cit.), Jean Pelletier et Pierre Saint-Pierre furent bel et bien les deux premiers colons de Saint-Roch-des-Aulnaies. Deux ans plus tard, lors du recensement de 1681, commandé par Mgr de Laval, sur tout le territoire de Saint-Roch il n'y avait encore que "deux familles et onze âmes". Et Léon Roy croit avoir établi que pendant une quinzaine d'années ils sont ainsi demeurés les seuls colons de Saint-Roch. Les deux familles vivaient à environ 15 arpents l'une de l'autre. Ce n'est qu'en 1694 qu'un premier voisin, Joseph Ouellet, fils de René, se joindra à eux. Jean recommençait donc à zéro. Il avait 52 ans. Certes, il n'était pas seul. Il pouvait compter sur l'aide de deux fils en âge de travailler : René, 23 ans, et Jean, 16 ans. Le cadet Charles était trop jeune. Après deux ans, toujours selon le recensement de 1681, Jean avait 5 arpents de terre en valeur; il nourrissait 9 bêtes à cornes, et gardait un fusil. Mais bientôt il perdra l'aide de ses fils, René et Jean. Dès 1682, en effet, René quittait SAint-Roch pour racheter l'ancienne terre de son père, à l'Iles d'Orléans. Il sera le seul à ne pas se fixer dans la région du bas du fleuve. En 1686, c'était au tour de Jean de quitter le toit paternel pour s'établir à la Pocatière, voisin de son frère, Noël. Vers 1688, il y épousa Marie-Anne Huot-Saint-Laurent qui lui donna huit enfants. La même année, Jean Pelletier dut également se séparer de sa fille, Marie, qui épousait Jacques Gerbert, de Cap-Saint-Ignace. Il n'avait donc plus avec lui que Charles qui, en 1686, avait 15 ans et Marie-Charlotte, 12 ans. Et Jean vieillissait. Bientôt, 60 ans. On peut facilement imaginer l'isolement de Jean Pelletier, sur sa petite terre, perdue dans la forêt. Plus que deux enfants. Un seul voisin : Pierre Saint-Pierre. Pas de route autre que le fleuve, qui leur permette, à lui et à sa femme, de se rendre visiter leurs enfants et petits-enfants de Sainte-Anne.

 

Sa mort à Saint-Anne-de-la-Pocatière

De 1690 à 1698, année de sa mort, le nom de Jean Pelletier n'est pas cité dans les documents de l'époque. Il est cependant établi que Jean ne mourut pas à Saint-Roch, mais à Sainte-Anne-de-la-Pocatière, fin février 1698, à l'âge de 71 ans. Nous croyons que Jean, vieilli et malade, ne voulut pas être à charge de son fils cadet, Charles, maintenant d'âge à prendre la relève sur sa terre de Saint-Roch, mais encore tout jeune marié. Charles, en effet, se maria en 1697, en premières noces, avec Marie-Thérère Ouellet, fille de René Ouellet, dont il aura cinq enfants. Un deuxième mariage avec Barbe Saint-Pierre portera à quinze le nombre total de ses enfants. Jean jugea sans doute plus approprié de se retirer chez un de ses enfants, à Sainte-Anne. Et comme nous savons par ailleurs que sa veuve, Anne, terminera ses jours chez Noël, c'est sans doute chez ce dernier que Jean mourut aussi. Noël était le fils aîné de Jean; pionnier de Sainte-Anne, bien établi sans doute, il est tout-à-fait plausible qu'il ait été le soutien de son père et de sa mère pendant leurs vieux jours. Mort à Sainte-Anne, Jean fut inhumé à la Rivière-Ouelle, où se trouvaient à l'époque l'unique cimetière et l'unique église de la Grande-Anse. Quant à Anne Langlois, la veuve de Jean, "la bonne femme Pelletier" comme l'écrivait son curé, l'abbé Bernard de Roqueleyn, elle se rendait le 12 janvier 1704, "à la ferme de Mr Dauteuil, où m'étant venue trouver avec son fils, Charles, à la ferme de Mr Dauteuil, (elle déclarait) avoir vendu à son fils, Charles Pelletier, la portion de terre échue à ladite veuve selon son droit de choisir qu'elle a déclaré avoir pris au nordest, consistant en deux arpents et demi de front". (Cf. greffe Janneau, 1710). Elle vendait donc à Charles la part de la terre familiale qui lui était échue en héritage à la mort de Jean. Le même greffe nous dit qu'elle vendit également ses meubles à Charles. Elle est décédée à l'âge de 65 ans, le 16 mars 1704. Elle fut, elle aussi, enterrée dans le cimetière de la Rivière-Ouelle. Au moment de sa mort, Jean Pelletier avait eu le temps de voir tous ses enfants mariés et établis : Noël, Anne, Jean et Charlotte à La Pocatière, René à l'Ile d'Orléans, et Marie, au Cap Saint-Ignace. Charles, le plus jeune des garçons, lui avait succédé sur le bien familial à Saint-Roch. A sa mort, on peut évaluer à vingt-six le nombre de ses petits-enfants qui sont alors nés. Il avait même eu la joie de connaître quelques-uns de ses arrières petits-enfants; Noël, fils de Noël, avait une fille; et Nicolas-Claude Mignot, le fils aîné d'Anne, avait deux enfants déjà. La branche des Pelletier, venus en 1641 de Tourouvre au Perche, se ramifiait rapidement.


Tiré de « Histoire et généalogie de Guillaume Pelletier 1598-1657 et son fils Jean »
Pelletier, Maurice, s.j.. «Guillaume
Pelletier 1598-1657 et son fils Jean». Montréal, Société généalogique Canadienne-Française, 1976, 24 p

 

 

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