Nous
savons maintenant que Guillaume Pelletier est arrivé en terre québécoise
en 1641. Il fait donc partie de ce groupe de pionniers des premières
décennies, qui ont prouvé par leur ténacité et leur courage, que ce pays
était habitable. Mentionné « menuisier, charpentier, scieur de long », on
peut le compter parmi les bâtisseurs qui ont établi les bases de ce
nouveau pays.
De la fondation de Québec
en 1608, jusqu'à la mort de Champlain, survenue en 1635, on ne comptait
que quelques familles qui vivotaient autour de "L'Habitation" (1 ). Le
premier contingent important fut celui qui rentra à Québec, le 4 juin
1634, sous la tutelle de Robert Giffard. Depuis 1632, la France avait
recouvré sa colonie que les frères Kirke lui avait prise en 1629.
Champlain y revint aussitôt ainsi que Robert Giffard qui amena avec lui
plusieurs familles pour peupler sa seigneurie de Beauport qui venait de
lui être concédée par les Cent-Associés (compagnie chargée de peupler le
Canada et de convertir les indigènes). Suivant les termes employés par
Suite, Robert Giffard et Noël Juchereau furent "le Moïse et le Josué qui
firent venir tout un peuple en cette Terre Promise" (2).
Comme ces deux précurseurs vivaient au Perche, région qu'habitait notre
ancêtre, force nous est de conclure que Guillaume répondit à leur
invitation, ainsi que plusieurs autres de son entourage. Parmi eux, il y
avait Mathurin Provost, Julien Mercier, Mathurin Gagnon, Marin Boucher,
Zacharie Cloutier, Jean Guyon, Nicolas Rivard, Jean Poussin, Aubin
Lambert, Robert Giguère, Pierre Tremblay, et les autres.
Faisons maintenant plus ample connaissance avec la famille Pelletier de
Brésolettes. Guillaume était fils d'Éloi et de Françoise Mare (3). Il
avait épousé Michelle Mabille, le 12 février 1619, en la paroisse
Saint-Aubin, à Tourouvre. Dans les registres de cette paroisse, on trouve
trois actes de baptême dans les années subséquentes, Claude, Guillaume et
Jean. Les deux premiers de ces enfants sont-ils morts en bas âge? Aucun
acte n'a été retrouvé pour le confirmer. Quand il s'amena au pays,
Guillaume était accompagné de son épouse, Michelle, de son fils Jean, âgé
de 14 ans et, possiblement, de son frère Antoine (4). Ce dernier se marie
avec Françoise Morin, en août 1647, mais en octobre de la même année, il
se noie, en tombant d'un canot renversé à l'eau, près de sa maison, au
Sault-de-Montmorency (5).
Suivons maintenant les traces que Guillaume nous a laissées, par les actes
qu'il a passés.
En octobre 1642, année de la fondation de Montréal, il remet à Mathurin
Gagnon qui part pour la France, un montant d'argent de 45 livres afin
qu'il le remette à son beau-frère, Jean Rousseau. Un acte passé devant le
notaire Choiseau, lundi, le 9 mars 1643, confirme que Gagnon a bien remis
ladite somme et que Rousseau s'en déclare satisfait (6).
En septembre 1644, en présence du greffier Tronquet, Guillaume Pelletier
achetait une terre de six arpents de front sur le fleuve Saint-Laurent,
sise dans la Seigneurie de Beauport. Ses deux voisins étaient Antoine, son
frère, du côté est, et Martin Prévost, du côté ouest. Aujourd'hui, si on
suit le boulevard des Chutes jusqu'au Parc Montmorency, on est certain de
traverser ces terres (7).
En 1646, c'est le Père Jérôme Lalemant qui nous parle de la famille
Pelletier. Il écrit dans ses lettres "le 28 août de cette année, je partis
en canot pour aller aux Trois-Rivières. J'emmenai avec moi, dans une
chaloupe, 2 hommes et un enfant. L'un des hommes était le fils du
Gobloteur, Guillaume Pelletier, déserteur (8), scieur de long,
charpentier, charbonnier". Les notes qui suivent révèlent que Jean,
maintenant âgé de 19 ans, s'était donné aux jésuites et qu'11 partait à
leur mission de Fort Sainte-Marie située près de la Baie Géorgienne
actuelle. Cependant, Jean ne persista pas dans cette vocation. Il revint
l'année suivante et il se fiança avec Anne Langlois. Le projet de mariage
fut retardé de deux ans parce que la future épouse n'avait que dix ans.
Deux autres contrats nous confirment que, pendant ces deux années 1646 et
1647, Guillaume a participé à la construction de la résidence du
Gouverneur et de l'église paroissiale (9). Encore en 1647, nous retrouvons
un acte dans lequel Guillaume s'engage envers son voisin, Martin Prévost,
pour une somme de 346 livres. Selon Léon Roy, auteur, il est permis de
supposer qu'il empruntait ce montant pour acquitter la part d'héritage qui
appartenait à la veuve d'Antoine (10).
Un autre acte de juillet 1648 dit que Guillaume transportait à Jean
Bourdon, ingénieur, la somme de 21 livres que lui devait François de
Chavigny, pour les deux boeufs qu'il lui avait vendus.
Un mois plus tard, soit le 23 août 1648, Guillaume est nommé parmi les
notables qui élisent Charles Sevestre, au poste de syndic, à la Communauté
des Habitants (11). En 1653, il sera lui-même élu pour représenter la
région de Beauport au sein de ladite Communauté.
Le 9 novembre 1649, jour
béni entre tous, Messire Jean Le Sueur, Supérieur des lieux, a
solennellement marié Jean Pelletier et Anne Langlois en la Maison de
Monsieur Giffard, à Beauport (12). Les parents Pelletier peuvent
maintenant espérer qu'ils auront une descendance en Nouvelle-France. Il
leur faudra, cependant, attendre cinq ans avant qu'Anne Langlois donne
naissance à son premier enfant. Le bébé, baptisé le 16 mai 1654 sous le
nom de Noël, avait été ondoyé le jour de sa naissance, par Guillaume
Pelletier, son grand-père (13).
Le 30 septembre 1656, naissait Anne, future épouse de Guillaume Lizotte,
ancêtre de tous les Lizotte (14).
Guillaume ne connut que ses deux premiers petits-enfants. Il mourut le 27
novembre 1657 et il fut enterré le jour suivant dans le cimetière proche
de l'église; il avait 59 ans. Son épouse lui survécut huit ans. Voici le
résumé de son acte de sépulture: L'an 1665, le 21e jour de
janvier, est décédée, en la Communion de Notre Mère, la Sainte Eglise,
après avoir reçu le Viatique et L'Extrême-onction, Michelle Mabille. Et
elle a été enterrée au cimetière de Québec par moi Henri de Bernières
(15).
Pendant leur existence, la colonie naissante avait traversé des périodes
difficiles surtout à cause des guerres iroquoises. La première de ces
guerres faillit entraîner la perte du Canada. De 1646 à 1650, la
Nouvelle-France assiste, impuissante à la destruction de la nation
huronne. En 1650, battus et terrorisés, un dernier groupe de trois à
quatre cents de ces Hurons vont chercher refuge dans la zone colonisée du
Saint-Laurent et à l'ouest de l'Ile d'Orléans. Le massacre des pères
Brébeuf et Lalemant en 1649 a sûrement ébranlé le moral de nos ancêtres.
Les premiers colons de Montréal vivaient aussi dans la terreur; ils
étaient la cible préférée de l'ennemi qui arrivait des régions de l'ouest.
Trois-Rivières fut aussi attaquée, c'est Pierre Boucher qui en fut le
défenseur, un autre venu du Perche. En 1645, les Cent-Associés avaient
cédé leurs droits de traite à la Compagnie des Habitants, association des
principaux colons du pays, où nous avons vu militer Guillaume. Charles
Huault de Montmagny (1636-1648) Louis d'Aillesboust (1648-1651 ) et Jean
de Lauzon (1651 -1656) furent les gouverneurs qui se succédèrent pendant
cette période.
L'année 1660 fut atroce,
l'année 1661 fut plus épouvantable encore, écrivait le Père Paul Lejeune
dans les Relations de 1661. Le fils du gouverneur Jean de Lauzon fut
massacré avec six de ses compagnons, le 22 juin de cette année-là. On lit
dans sa biographie écrite par Mosnet
«
le lendemain, on retrouva le corps du grand
sénéchal couvert de blessures et décapité; sa tête avait été apportée en
Iroquoisie comme trophée. »
Avec ses six compagnons, il fut inhumé, le jour de la Saint-Jean.
Comme nous pouvons le constater, les années qui ont suivi le départ de
Guillaume ont dû être très éprouvantes pour Michelle et la jeune famille
de Jean. Ils habitent Beauport jusqu'en 1665, année du décès de leur mère
puis ils déménageront à l'Ile d'Orléans sur une terre que Jean avait
acquise sur le territoire actuel de la paroisse Saint-Pierre.
Ils ont semé dans l'adversité, ils ont trouvé le réconfort dans le force
de leur foi et leur abandon total à la Volonté Divine. Ils n'ort pas
accumulé de biens terrestres comme l'explique si bien If Père Maurice
Pelletier, dans son livre sur Guillaume et Jean mais la Providence qui
remet au centuple, a fait jaillir de leur passage discret sur la terre une
moisson riche et abondante de Pelletier.
Georgette Pelletier-Labelle
Montréal
(1)
Forteresse érigée par Champlain
pour servir d'habitation, de magasin et de défense en cas d'attaque.
(2) Citation de Madame Montagne dans «
Tourouvre et les Juchereau».
(3)
Léon Roy, dans Guillaume et Jean Pelletier, corrige le nom de
Françoise Motte.
(4) Guillaume et Antoine n'ayant signé aucun contrat
d'engagement, on ne peut affirmer avec certitude s'ils ont fait la
traversée sur le même bateau.
(5) Relations des Jésuites, année 1647.
(6)
Madame Pierre Montagne, Tourouvre et les Juchereau.
(7)
Maurice Pelletier, s.j., Histoire et généalogie, p. 14.
(8) Déserteur est ici employé dans le sens de
défricheur.
(9) Léon Roy, Guillaume et Jean Pelletier, p. 4.
(10) Ibid.p.5.
(11) Mémoires de la Société généalogique
canadienne-française, vol. 28, m 2.
(12) Actes d'état civil.
(13) (14) (15) Etat civil du Québec. |
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